Un exemple de gestion des communs : l’espace public maritime

Article paru dans « Campagnes Solidaires »  de Jean François Périgné,

Producteur de moules à Oléron et membre de la Commission Internationale de la Confédération paysanne

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Le Domaine Public Maritime : une manière originale de gérer un commun

La France est la 2 ème puissance maritime mondiale. Depuis très longtemps, elle a posé le principe que l’espace maritime est un bien commun qui ne pouvait pas être privatisé.

Aliénor d’Aquitaine pose dès 1160 les règles des usages en mer et fonde ce qui deviendra la sécurité sociale des marins (ENIM*) dans un édit royal fondateur « les rôles d’Oléron ». Il faudra attendre l’édit de Colbert du 31 juillet 1681 qui fixe les règles en vigueur aujourd’hui. Ce focus historique montre à quel point cette entrée « domaniale » des espaces maritimes trouve sa pertinence. 

Sur ce DPM* qui s’étend de la limite des eaux territoriales et internationales jusqu’au niveau des plus hautes mers vers la terre, les usagers de la mer ne manquent pas. Les aquaculteurs, les marins pêcheurs, mais également la marine marchande, les activités d’extraction (granulats, pétrole, minerais…) et bien sûr la marine nationale. Du côté des autres usagers, on trouve la plaisance bien sûr, les sports nautiques et aquatiques, les activités de loisir comme la pêche embarquée ou la pêche à pied, ou encore la baignade…

Comment gérer les conflits d’usage qui ne manquent pas d’éclater face à pléthore d’usagers avec une approche parfois incompatible entre le récréatif et le professionnel ? Un SMVM* est mis en place en étroite concertation avec les différents acteurs et l’Etat. L’espace maritime est découpé en zones d’attribution « prioritaire » (mais non exclusives) : couloirs de navigation pour la marine marchande, zones militaires, zones conchylicoles ou de pêche, zones de baignade… Cette répartition n’est pas figée et peut être revue et adaptée aux évolutions des usages. 

Concernant nos activités, les zones attribuées dans le SMVM à la conchyliculture sont cadastrées et attribuées aux professionnels sous forme de concessions. Celles-ci sont régies par un cahier des charges draconien établi en concertation entre la DDTM* et les représentants professionnels du CRC*. Il encadre les questions techniques (balisage, entretien, charges d’animaux, types d’installation autorisées…), sociales (priorité d’accès, surface maximale…) et environnementales (protection des zones de frayère, des zones de zostères (posidonie, en méditerranée), nettoyage des vasières…). Tout aménagement ou installation doit pouvoir être démonté dans les 24 heures.

Tout ressortissant majeur de l’UE titulaire d’un BPAM* a accès aux concessions. La redevance est symbolique, mais le respect des règles est particulièrement contrôlé. Le nouvel installé se voit attribué un titre de concession provisoire pour 5 ans. Celui-ci sera renouvelé sous forme d’un bail emphytéotique de 25 ans par la suite. A tout moment, un non-respect des règles peut entraîner la dépossession.

A la sortie du métier, la concession vacante est affichée avec publicité dans toutes les mairies du quartier maritime concerné et les candidats se font connaître. Elle sera réattribuée selon des règles de priorité.

Un titre de concession n’est pas monnayable. Seuls les installations en place (filière, bouchots, tables ostréicoles) et le cheptel présent au moment de la transmission font l’objet d’une transaction financière.

Le titre de concession est nominatif. Cette particularité protège les professionnels des velléités d’entrée dans le métier d’éventuelles grosses sociétés de l’agro-industrie ou de la grande distribution. Il existe, comme en agriculture, des montages sociétaires en conchyliculture, mais dans tous les cas le porteur majoritaire des parts doit répondre aux exigences citées précédemment.

Il n’y a pas de surface minimale d’installation au départ. Le jeune doit s’efforcer d’atteindre une surface dite « économiquement moyenne » au bout de sept ans, calculée sur les données du recensement annuel des activités conchylicoles. Par contre, il y a une surface maximale au-delà de laquelle le concessionnaire ne pourra plus se porter candidat.

Ce modèle, avec des adaptations, est plus ou moins repris sur certains espaces terrestres (parcs nationaux, conservatoire du littoral, foncière du Larzac). Il est un levier pour sortir du contexte spéculatif de la propriété privée du foncier, un frein à l’agrandissement et un outil de protection des professionnels. Il instaure une « communauté de destin » entre professionnels.

*ENIM : Etablissement national des Invalides de la Mer

*DPM : Domaine Public Maritime

*SMVM : Schéma de Mise en Valeur de la Mer

*DDTM : Direction Départementale des territoires et de la Mer

*CRC : Comité Régionaux Conchylicoles

*BPAM : Brevet Professionnel Aquacole et Maritime

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